Douche froide
Lorsqu’elle rentra chez elle, elle ôta ses chaussures et prépara du café. L’appartement était silencieux. Elle décida de se faire couler un bain. Le carrelage était froid sous ses pieds. Elle se débarrassa négligemment de ses vêtements sur le sofa du salon et, nue, se colla contre le radiateur en regardant les gouttes tomber du filtre une à une, si noires…
Vite, éteindre l’eau de la baignoire, se servir une tasse, s’engouffrer dans l’eau chaude, boire la boisson fumante, sentir la brûlure sur la langue, le liquide descendre dans la gorge, réchauffer l’estomac. Il fallait combler ce trou, remplir ce vide qui s’étendait un peu plus chaque jour. Les yeux fermés dans la buée de la pièce elle revit les cris, les insultes, la valise, le départ et les larmes. Le froid qui depuis ce jour ne l’avait plus quittée. Tout cela dansait derrière ses paupières closes. L’eau inonda son visage doucement, caresse apaisante, oubli infini. Une main dans ses cheveux.
De l’air ! sortir de ce foutu bouillon devenu rougeâtre. Les mains crispées sur ses cuisses, elle avait encore déchiré la peau avec ses ongles, fait saigner la chair. La douleur permettait aux mains de se sentir vivantes. Mais le froid gagnait toujours. Ruisselante, elle déambula dans l’appartement vers la boîte à rêves. Deux cachets, trois, six peut-être. S’enrouler dans la couette et dormir. Ne plus penser. Elle était fatiguée, si fatiguée.
La pluie et le beau temps
Un jour maussade, un jour comme tous ces jours en Angleterre où l’horizon, inondé de parapluies, semble envahi de chauve-souris.
L’air hagard, notre promeneur s’abrite sous son parapluie, insensible à cette eau qui jamais ne l’atteint. Chaque goutte vient se heurter douloureusement à la toile noire. Comme une flèche, l’impact est considérable. Les gouttes se brisent et le recouvrent d’une constellation de perles.
Mitraillé, notre parapluie résiste pourtant et accepte, résigné, d’être ainsi assommé, conscient que sa vie touchera bientôt à sa fin. Ses articulations perdent de leur souplesse. Ses bras rouillés n’ont plus leur rapidité d’antan.
Cette déchéance l’effraie. L’idée de finir sa vie sans avoir rien connu d’autre que la pluie. Il avait entendu parler d’un certain soleil, sans trop savoir ce qu’il était exactement. Il se doutait bien qu’il existait autre chose que la pluie.
Plusieurs fois, il avait été délaissé dans un coin de la pièce. Ces jours là, les enfants s’empressaient de sortir, poussant des cris de joie. Il était même arrivé une ou deux fois qu’une lueur passant par la vitre vienne le frôler, le caressant légèrement. Mais elle s’enfuyait aussitôt. Qu’était-ce que cela ? Pourquoi cette injustice ? Etre ainsi abandonné. Pourquoi ne pouvait-il pas, lui aussi, goûter pleinement cette chaleur qu’il avait semblé sentir.
Cela faisait longtemps qu’il n’était plus sorti. On semblait en effet préférer un des ses cousins, plus vif au déploiement. L’angoisse d’un abandon le hantait. Mais un jour, la famille s’agrandit et l’arrivée d’un nouveau venu bouleversa ses appréhensions. La saison des pluies touchait à sa fin, le soleil revenait.
Par un jour plus ou moins ensoleillé, on s’empara de lui. La surprise le fit sortir rapidement de sa torpeur. Il avait beau ne pas être sorti depuis longtemps, quelque chose n’étais pas comme d’habitude. Cette sensation glaciale au contact de l’eau ne s’oublie pas. Pourtant, il ne ressentait pas cela, bien au contraire. C’était plutôt doux… Oui c’est cela : la douceur, c’est le mot qui lui vint à l’esprit. La douceur de la chaleur.
Il n’en revenait pas, il s’étira du mieux qu’il pu pour que chaque centimètre de sa toile soit imprégné de cette chaleur. Il s’exaltait ? Comment pouvait-on priver ce bébé de cette sensation ?
Pourtant c’était grâce à ce bébé que son rêve devenait réalité. Les sorties devinrent journalières. Chargé de protéger l’enfant, il recevait les caresses du soleil et n’en laissait échapper aucune.
Il pouvait
mourir tranquille à présent. Il savait qu’il
existait autre chose que la pluie.